Titre

Renaissance

Accroche

Histoire avec un grand “H” ou réalité ?

Description

Ma seconde nouvelle de retour en France si je ne m’abuse. Écrite très vite il faut le dire car le concours m’était parvenu la veille de sa clôture ;-). Réponse au concours “Renaissance” du Cercle des Maux d’Auteurs (15 000 signes max, style libre, 14/09/2008), elle fut publiée dans le recueil éponyme aux éditions Joseph Ouakine.
12 000 caractères

Texte complet 

Clovis vérifia une dernière fois l’équilibre de son épée. La lame renvoya un éclat de lumière en reflétant un rayon de soleil qui passait par l’une des mansardes de la salle d’armes. Son entraînement était enfin terminé, et comme son père le lui avait promis, il allait pouvoir user de ses talents pour défendre leurs terres.

Un bruit de pas le fit se retourner brusquement vers l’entrée où son père, Baudoin Delcroix, se tenait dans l’embrasure.

— Hé bien mon fils, vous me semblez bien impatient, mais il n’est nul besoin pour autant de pointer votre arme vers moi.

Clovis abaissa aussitôt sa lame et la glissa dans son fourreau.

— Pardonnez-moi père, loin de moi l’idée de vous offenser, je voulais simplement…

— Sentir le poids de l’acier, vérifier l’équilibre de votre arme et sa prise en main ? l’interrompit son père.

Il souriait sous sa barbe grisonnante.

— Je me souviens de mon premier combat, mon fils. J’étais tout aussi excité que vous l’êtes maintenant.

Clovis ne put que laisser échapper à son tour un sourire.

— Notre maître d’armes me dit que vous êtes prêt. Mais avant de vous confier votre mission, j’aimerais en juger par moi-même…

Le sourire de Clovis s’évanouit aussitôt alors que celui de son père s’accentuait en un rictus sarcastique.

— Alors mon fils ? Peur d’être mis à mal par votre vieux père ?

Déjà, celui-ci portait la main au pommeau de son épée.

— En garde mon garçon ! lança-t-il en libérant sa lame de son fourreau.

Surpris, Clovis recula de quelques pas avant de se saisir à son tour de son arme.

Une danse lente s’engagea alors entre les deux hommes, chacun jaugeant l’autre, essayant de déterminer qui des deux allait lancer l’assaut. Plus expérimenté, le patriarche frappa le premier.

Épée levée, il biaisa sur la droite, tourna sur lui-même et fendit l’air sur la gauche. Mais l’instructeur de Clovis avait bien fait son œuvre et le fils déjoua la ruse de son père en bloquant sa feinte. Aussitôt, le seigneur recula pour se mettre à l’abri d’une éventuelle contre-attaque.

Bien lui en prit, car le plat de la lame de son adversaire fendit l’air là où son torse se trouvait un instant plus tôt.

Les deux hommes reprirent leur garde, tournant lentement au centre de la salle en prenant soin de toujours se faire face. Clovis semblait attendre une autre attaque de son père, mais alors que celui-ci songeait effectivement à son prochain assaut, ce fut le fils qui se rua en avant. Profitant de l’élan de sa course, Clovis laissa le poids de son épée glisser le long de celle de son adversaire pour l’empêcher d’en reprendre le contrôle. Bien qu’un court instant, il eut l’opportunité de transpercer l’épaule de son antagoniste, il laissa passer cette chance sans doute réticent à faire couler le sang de son propre père. Ce dernier profitant de cette malencontreuse hésitation, s’accroupit et tourna sa propre lame, bloquant la progression de celle de son fils avec sa garde.

Surpris par cette contre-attaque, Clovis dut changer d’appui pour soulever son épée afin de la libérer, et s’en retrouva maladroitement déséquilibré. En se relevant subitement, Baudoin put donc aisément le charger sur ses épaules et le propulser en avant.

Le jeune homme atterrit sur le sol dans un bruit de fracas, entraînant un casier d’armures dans sa chute. Déjà son adversaire fondait sur lui et il put distinguer le fil de la lame qui s’abattait sur son torse. Agrippant un casque tombé là, Clovis s’en servit comme d’un bouclier pour dévier l’arme menaçante, puis pivotant sur lui-même, sans états d’âme cette fois, il fit à son tour choir le seigneur d’un violent croc-en-jambe.

Servi par sa souplesse, le fils se retrouva rapidement sur ses pieds, et pointa sa lame vers la poitrine de son géniteur. Désarmé dans sa chute, Baudoin Delcroix écarta les bras en signe de reddition.

Clovis abaissa son épée et tendit une main amicale à son père pour l’aider à se relever.

— Notre maître d’armes disait vrai. Clovis, ni lui ni moi n’avons plus rien à t’apprendre, dit le seigneur en agrippant la main qui lui était tendue.

Baudoin se redressa en soupirant.

— Je tiendrai donc ma promesse, poursuivit le seigneur.

Clovis se redressa fièrement.

— Il y a un groupe de brigands qui pille nos villages du sud, continua Baudoin. Ramène-moi la tête de leur chef, prouve-moi que tu peux protéger notre domaine, et je te proclamerais auprès de notre peuple comme mon digne successeur.

— Je ne faillirai pas père, répondit fièrement le jeune homme.

— Tu trouveras leur camp près des grottes de Marauvent. D’après l’éclaireur que j’ai envoyé là-bas, leur chef y est généralement seul en fin de journée.

Clovis rassembla ses affaires.

— Le temps de faire préparer mon cheval et je serais en route.

Baudoin calma les ardeurs de son fils d’un geste de la main.

— Avant de partir pour Marauvent, je veux que vous passiez voir la rebouteuse.

Clovis prit un air excédé.

— Mais père…

— Je sais, l’interrompit son aïeul d’une main levée. Avec vos livres et vos peintures, vous pensez déjà tout savoir. Mais votre « cinquecento » comme ils l’appellent, ne vous sera pas d’une grande utilité en combat.

— Ce n’est pas cela père, mais…

— Oui ! Les temps changent, vous me l’avez déjà dit. Si vous ne croyez pas aux pouvoirs de la rebouteuse, rien de ce qu’elle peut faire ne vous affectera, n’est-ce pas ? Alors, ne le faites pas pour vous, ne le faites pas pour moi, mais faites-le pour Madame votre mère… Vous la connaissez, elle sera plus rassurée de savoir que vous êtes passé voir la sorcière avant de partir au combat.

Bon gré mal gré, Clovis avait accepté de passer par le bois où vivait cette étrange femme avant de partir affronter le chef des brigands. Après ses derniers adieux, il avait pris la direction du « bois sombre », nom donné par les serfs locaux à la parcelle de forêt où la rebouteuse avait élu domicile.

Le sentier qui menait à la vieille chaumière étant peu praticable à cheval, Clovis laissa son destrier à l’orée de la forêt et s’avança à pied.

La masure de bois et de boue séchée empestait le purin et le jeune homme réprima une grimace avant de frapper à la porte branlante.

— Entrez… fit une voix chevrotante avant même que le premier coup n’ait fini de retentir sur la porte.

Clovis poussa délicatement le battant, de peur qu’il ne s’effondre sous sa force.

— Jeune maître… C’est votre père qui vous envoie ?

La voix provenait du coin le plus sombre de la pièce, et Clovis ne pouvait pas distinguer à qui elle appartenait.

— Mère tenait à ce que je passe vous voir avant d’aller au combat, répondit-il en plissant les yeux pour percer l’obscurité.

— Hum… Jeune maître est un homme désormais…

Il y eut un bruit de frottement, et une forme humaine émergea de l’ombre. Clovis observa la femme voûtée qui avait fait un pas vers lui en s’appuyant sur une canne en bois plus tordue qu’elle.

Bien des histoires circulaient sur cette femme. Les plus anciens juraient qu’elle était déjà là du temps de leurs grands-parents. Elle serait venue de lointaines contrées de l’est, et n’aurait échappé aux persécutions de ceux de son genre que par la volonté de la famille Delcroix. Les gens du peuple insinuaient même qu’un pacte liait la famille à la sorcière. Mais Clovis n’avait que faire de ces ragots. La vieille femme devant lui n’avait rien d’impressionnant. Tremblante, incapable de tenir debout sans sa canne, elle était sale et ses longs cheveux gris emmêlés lui donnaient un air d’épouvantail dépaillé.

Il ne comprenait pas ce que les anciens pouvaient trouver à cette vieille femme. Ses nombreuses lectures importées d’Italie lui avaient ouvert les yeux sur de nouveaux horizons, et ces superstitions obscures ne faisaient que l’amuser.

— Je savais que Madame et Sire votre père vous enverraient à moi… susurra l’ancienne.

— Mes parents vivent peut-être encore dans la superstition, vieille femme, mais ce n’est pas mon cas.

Clovis avait hâte d’en finir. D’autant plus hâte qu’il venait de croiser les yeux de la rebouteuse. Des yeux bleus si pâles qu’ils en étaient presque blancs. Des yeux vides et fixes qui le mettaient mal à l’aise.

— Le jeune maître est bien sévère avec ses parents.

— Prends garde à ton insolence sorcière ! Je remplacerai bientôt mon père à la tête du domaine, et si tu veux finir ta vie en paix, veille à ne pas t’attirer mon courroux.

Le regard fixe ne cilla pas, à tel point que Clovis se demanda si cette femme n’était pas aveugle.

— Fougueux jeune maître, comme tous les premiers-nés de la famille. On croirait voir votre oncle.

— Mon oncle ?

— Le frère ainé de votre père. Mort bien avant votre naissance…lors d’une mission semblable à la vôtre en ce jour d’ailleurs.

Pensif, Clovis ne releva pas le ton légèrement sadique de la sorcière. Elle poursuivit :

— Il était aussi impétueux que vous, jeune maître… Mais loin de moi l’idée de vous retenir. Voici ce pour quoi vous êtes venu.

La sorcière plongea sa main libre sous sa tignasse crasseuse et en ressortit une petite bourache en cuir.

— Rejuva, dit-elle comme pour répondre au regard interrogatif de Clovis. C’est une potion qui soignera instantanément toutes vos blessures.

Clovis s’empara de la petite outre et en huma le contenu. Une odeur âcre et écœurante s’en échappait.

— Très puissante… et très rare, expliqua la vieille, ignorant la grimace de son hôte. Mais il faut tout boire en une seule fois pour bénéficier pleinement de son pouvoir.

Le jeune châtelain reboucha le récipient et l’attacha à sa ceinture.

— Est-ce là tout, sorcière ?

— Tout ? Oui… Rejuva est tout. Et je ne voudrais pas m’imposer plus longtemps au jeune maître, marmonna la vieille femme en mimant une courbette.

Trop heureux de pouvoir se soustraire au regard glacial, Clovis tourna les talons et sortit, laissant la porte ouverte sur son passage.

Rebroussant chemin sur le sentier, il caressa distraitement la bourache suspendue à sa ceinture.

— Rejuva, murmura-t-il… vieille folle !

Il rejoignit son cheval pour enfin prendre la direction des grottes de Marauvent.

L’éclaireur avait bien informé son maître. Clovis trouva en effet le chef des brigands, seul à l’entrée de la plus grande des grottes. Contre la paroi était appuyée une gigantesque hache à deux mains dont le chef s’empara en voyant Clovis s’approcher.

— Par ordre du Seigneur du comté de…

Le reste se perdit dans un gargouillis. Deux flèches venaient en effet de se ficher dans la poitrine de Clovis. De toute évidence, l’éclaireur n’avait pas vu les deux archers cachés dans les arbres pour protéger leur supérieur…

La surprise toujours marquée sur son visage, Clovis tomba à genoux. Sa vision se brouillait, mais il pouvait distinguer l’homme massif arrivant dans sa direction en brandissant son énorme hache.

Dans quelques secondes, il serait à sa portée, dans quelques secondes, il serait mort.

Alors, puisant dans ses dernières forces, Clovis arracha la petite outre de sa ceinture, fit sauter le bouchon avec ses dents et avala goulument tout le contenu. Aussitôt un long trait de glace descendit le long de son corps, faisant disparaître toute douleur. Sa vue redevint nette, et il sentit une force nouvelle l’habiter.

Saisissant les flèches l’une après l’autre, Clovis les arracha d’un coup sec et les deux plaies cicatrisèrent presque instantanément. Déjà, l’effet de la potion se dissipait. Mais Clovis était en parfaite santé et cueillit le chef des brigands en l’empalant jusqu’à la garde de son épée.

Surpris, le géant laissa choir son arme et s’écroula à son tour, le cœur transpercé. Clovis extirpa son arme, prêt à se battre contre les deux archers, mais déjà une flèche lui traversait le cou, et une autre se plantait dans sa cuisse.

Il tituba, tentant de reprendre son souffle. Cette fois il n’y avait plus de potion pour lui venir en aide, et Clovis, vaincu, s’abattit lourdement sur le corps inerte du géant déchu. Déjà un voile rouge descendait sur ses yeux, et tout sembla se figer soudainement autour de lui.

— Merde !

Kevin se jeta en arrière sur son siège, les yeux rivés sur l’écran de son ordinateur où le corps inerte de son avatar reposait juste entre les deux boutons indiquant respectivement « Nouvelle Partie ? » et « Quitter ?».

— Ils sont vraiment salauds ces programmeurs… Trois contre un, avec une seule potion de vie !

Il considéra un instant l’écran, soupira, se redressa et saisit sa souris. Pointant le curseur de cette dernière sur le bouton « Nouvelle Partie ?», il cliqua.

Clovis vérifia une dernière fois l’équilibre de son épée. La lame renvoya un éclat de lumière en reflétant un rayon de soleil qui passait par l’une des mansardes de la salle d’armes…