La diffusion de ma série d’articles sur la conception de romans a aiguisé quelques débats sur divers forums. Je me suis ainsi rendu compte qu’il y avait deux grandes catégories d’auteurs : les structuraux et les scripturaux.

La majorité des discussions ont mis en valeur que la plupart puisent un peu des deux bords, dans des proportions différentes, certes, mais qui permettent à chacun de trouver son point d’équilibre en fonction de ses affinités premières. Je fais moi-même partie de cette catégorie, avec, je dirais, 55/45 en faveur de la structure. En y réfléchissant bien, cela me parait être une approche et une marque d’ouverture d’esprit assez logique pour un auteur, particulièrement un romancier.

Il y a cependant toujours des extrémistes, et choses étranges, pour le moment du moins, ils semblent tous être du même bord : les scripturaux !

En effet, si tous les structuraux, même acharnés, s’accordent à dire que plans, fiches et structures ne sont finalement pour eux que des outils pour les aider à mieux créer. Les plus virulents des scripturaux sont quant à eux beaucoup plus prompts à repousser « l’ennemi » structural pour protéger leur carré de verdure.

1er exemple : « plans et structures sont la mort de l’imagination. Pour moi, un écrivain ne devrait jamais connaître la fin de son histoire avant de commencer. Sinon c’est artificiel, et le lecteur peut retracer la structure et anticiper la fin. »

Je suis bien placé pour comprendre cette allégorie du reverse-engineering. J’ajouterai même qu’il existe une expression pour identifier ce phénomène : on dit « une intrigue cousue de fil blanc ». Seulement voilà, ce n’est pas la structure ni le plan qui font que l’intrigue est transparente… Ce sont les choix de l’auteur, son style, les efforts placés dans la rédaction, son talent… Bref pour parler franc : il est peut-être tout simplement mauvais, ou son histoire plate !

À l’opposé, en plus d’écrire, il se trouve que je lis beaucoup aussi, et un auteur qui ne sait pas où va son histoire… ça se sent au bout de trois chapitres, c’est très désagréable pour un lecteur d’essayer de prendre la main d’un guide dont il sait pertinemment qu’il n’a aucune idée de la route à prendre. Il ne faut pas confondre imagination et divagation. Ce type d’écriture est sans doute la panacée dans les essais littéraires de Saint-Germain, mais quand je me procure un roman de fiction, c’est avant tout une histoire que j’achète, et je m’attends à ce qu’elle soit bien ficelée (et bien écrite, avec de bons personnages et un style particulier aussi, si possible).

2e exemple : « Je n’écris jamais de plan. Je travaille juste avec mes notes et quelques fiches de personnages, le reste fluctue dans ma tête au rythme de mon imagination et à mesure que j’écris. »

Alors je résume. Il y a des notes (pour ne pas perdre les idées importantes), des fiches de personnages (pour maintenir la cohérence, renforcer la psychologie…), et une ligne directrice globale (un schéma directeur… un… plan peut-être ?) qui évolue avec le temps. Ha ! Oui, mais ce n’est pas écrit, donc c’est pas de la vraie structure, c’est ça ?

Franchement si certains sont assez zen et protégés du stress quotidien pour pouvoir maintenir tout ceci dans leur tête : tant mieux pour eux ! À contrario, ce n’est pas parce que le plan est sous forme écrite qu’il ne peut pas évoluer au fur et à mesure de l’écriture (bien au contraire, la technologie est notre amie; copier/coller, liens, déplacements, tableaux dynamiques… Je ne sais pas vous, mais moi j’ai abandonné la gravure sur granite il y a un moment déjà).

3e exemple : « Un plan ? Quelle horreur ! Moi je n’écris jamais avec rien de plus que le début et la fin en tête, le reste c’est du pur instinct. Des fois, juste une petite idée vers le milieu, mais rien d’autre. »

Si on remet les points dans l’ordre, ce ne serait pas la définition exacte de la structure en trois actes d’Aristote ?… Il n’y a pas besoin de tartiner 100 pages de plan pour se faire une idée d’où on va. (surtout quand on a du temps pour écrire… plus les plages d’écriture sont longues et rapprochées et moins il est nécessaire de tout fixer sur papier, car les idées restent fraîches dans l’esprit).

En fait, il m’est apparu que la plupart des sanguins scripturaux étaient plus ou moins consciemment en déni. Une sorte de syndrome type « Je suis écrivain, donc je suis libre de tous carcans… » (Même si pour cela je dois « oublier » que j’ai des notes, que je cloisonne mes idées, que j’ai trois, quatre ou sept points de repère…) C’est bien beau, sauf que :

  1. Avoir une structure ne veut pas dire être en prison
  2. Être libre ne veut pas dire être dépourvue de structure
  3. Les réactions les plus extrêmes viennent aussi des plus jeunes (en termes d’expérience d’écriture et non d’âge)

La structure vue par les scripturaux...

Bon, sur ce, moi je vais retourner à ma réécriture, car je ne cherche pas à devenir un génie incompris, mais plutôt un écrivain apprécié 😉

Et vous ?